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Photo du rédacteurMelanie Blaser

CERCLE



Le sage marche à côté de moi et me pose quelques questions. Je pleure, j’explique pourquoi c’est un moment difficile dans ma vie. Nous marchons dans les bois. Les feuilles mortes sur le sol sont mouillées et l’odeur est agréable. Les odeurs de la nature, ça fait du bien quand on pleure. Nous allons au bord de la rivière. Le sage me suggère d’aller seule à un endroit de mon choix et d’y passer un moment. Je marche un peu et je pleure. Puis, je m’assois sur un long tronc déraciné qui est tombé et flotte au-dessus de l’eau. Un autre tronc tombé s’appuie sur le long tronc. L’écorce est très belle, cannelée et douce à la fois. J’aime beaucoup l’écorce. Au Moyen Âge et peut-être déjà avant, on écrivait sur l’écorce. Et les Algonquins construisent des canoës en écorce de bouleau. Il faut deux semaines à un couple pour construire un canoë. On peut aussi tanner le cuir avec de l’écorce, mais je ne sais pas comment on fait. Je ne pense pas à ça sur mon tronc. Je ne pense pas du tout. Je regarde l’eau et tout ce qui m’entoure. Je sens le calme revenir en moi.


De retour vers le sage, il me demande si je veux partager ce que j’ai ressenti, mais il est difficile pour moi d’exprimer ce que je ressens quand je vis un moment intense. Il m’explique alors la roue de médecine, le sud, l’ouest, le nord, l’est. L’enfance, l’adolescence, l’âge adulte, la vieillesse et la mort. La roue ne tourne que dans un sens, comme la rivière à côté de nous, qui coule toujours dans le même sens.


Je pars ensuite faire ma marche médecine, quelque chose comme un rite de passage, un état des lieux de moi, une exploration, des découvertes peut-être. Je décide de suivre la rivière, mais au premier méandre, je vois que ce n’est pas possible. Je reviens alors sur le chemin et je retourne près de la rivière dès que c’est possible. Le sage m’a suggéré de passer un seuil, et au retour, de repasser le seuil. Je pense d’abord que c’est le tronc déraciné qui sera mon seuil. Mais plus loin, la terre est ouverte et au fond coule un ruisselet qui rejoint la rivière. Je comprends que mon seuil est à cet endroit précis et que je vais le passer, mais que je ne suis pas prête à aller loin au-delà du seuil. C’est un seuil difficile à passer, les arbres prennent toute la place. Je pousse une branche et je passe le seuil, ce qui me donne une grande satisfaction. Et je reviens. Une autre fois, j’irai plus loin.


Je crée un cercle sur un replat entre le chemin et la rivière. Un cercle constitué de végétaux et minéraux que j’ai cherché et ramassé dans la forêt. Mon cercle. Un caillou, une petite mure, une fleur, une feuille verte, une feuille morte, une branche ramifiée, une fougère. Des champignons qui sont plantés là, ainsi que de la mousse verte sur un tronc qui émerge de la terre, font partie du cercle. Dès que je me mets dans le cercle, je me sens à la maison. Je vois alors une petite mésange huppée qui sautille de branche en branche au-dessus de ma tête. Je m’immobilise en espérant qu’elle chante. Après quelques minutes de silence, je suis récompensée. Son chant est merveilleux, mélodieux, nuancé.


Je décide de revenir vers le sage en empruntant sagement le chemin. Je marche lentement. Je suis dans une espèce d’hébétude joyeuse. Quelque chose s’est passé. J’ai fait un bout de chemin.


Le sage est assis, il écrit dans son carnet. Il me reçoit en souriant et me demande de lui raconter mon expérience. Je résume en trois minutes et je ne sais plus quoi dire. Nous repartons et sur le chemin en pente du retour, je raconte, je raconte. Le sage sourit, ses yeux étincellent. Et moi je peux continuer mon chemin.


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