FÉMINICIDE
- Melanie Blaser
- 4 mai
- 2 min de lecture
Dernière mise à jour : 7 mai
Il voit rouge
A-t-elle une peur bleue ?
Il entre dans une colère noire
Sans désir
Il frappe
Il frappe
Il frappe
Il la couche dans le lit
Elle semble dormir profondément
Comme Blanche-Neige qui a croqué la pomme
Comme la Belle au Bois Dormant qui s’est piqué le doigt
Son visage est de toutes les couleurs
Violet, vert, bleu, jaune
Il ne dort pas
Il n’appelle pas
Il ne voit pas ?
Il attend quoi ?
Elle n’est pas battue
Ni humiliée
Juste soumise
Résignée
Pour le bien de la famille
Pour les enfants
Pour lui
Pour les autres
Pour que ça roule
Et tant pis pour soi
Il lui dit que son métier
C’est maman
Et rien d’autre
Il lui dit que c’est bien
De rester à la maison
Seule
Avec les enfants
Après ses études universitaires
Après sa carrière
Il travaille
Il voyage
Il voit des gens
Il gagne de l’argent
Son métier est important
Ce qu’il fait est important
Ce qu’il dit est important
Tant pis pour la passion
Les caresses
Les regards
La connivence
Le respect
La réciproque
Tant pis pour les compétences
Bafouées
Les opportunités
Évitées
Les probabilités
Ignorées
Juste la routine
Les repas prêts
Le frigo plein
La maison propre
Les enfants bien élevés
Qui font leurs devoirs
Les agendas signés
Tous les dimanches soir
Les impôts payés
Les photos bien classées dans l’ordinateur
Et merci pour tout ça
Il apprécie
Elle dépérit
Il est reconnaissant
Elle est évanescente
Il ne voit pas ?
Il attend quoi ?
Heureusement il y a l’amitié
Parfois bien arrosée
Toujours joyeuse
Toujours présente
Un jour elle se réveille
Elle sort du tunnel
Pour rejoindre
La lumière la mer
Se reconstruire
On ne peut pas recommencer
Juste partir

Tant pis pour la solitude
Tant pis pour les week ends sans fête
Les dimanches en nuisette
Elle jardine
Elle lit
Elle fait du yoga
Et l’amour parfois
Quand un doux amant
La désire
Lui donne du plaisir
Les amis sont moins joyeux
Ils ont aussi des soucis
Elle n’a pas toujours le courage d’appeler
Parfois ils n’entendent pas
Ou ils sont occupés
Elle veut vivre
Travailler
Voyager
Voir des gens
Gagner de l’argent
Pour elle
Et pour la belle femme au visage de toutes les couleurs
Qui ne se réveillera jamais
« Tout à coup le balancier fait sonner un temps disparu. Les horloges s'attardent sur ces pertes qu'elles signalent à ceux qui attendent. » — Pascal Quignard, L’amour la mer