Restaurant Coop, 9 h 30. À l’extérieur, il y a trois employés qui déplacent des plantes, un noir, une petite femme ronde et un asiatique. Ils ont des vestes chaudes, des bonnets et des gants. Il fait très froid et il y a du vent. Et à l’intérieur, bien au chaud, il y a des mamans et leur(s) enfant(s), des vieux, des chômeurs, un couple et un homme qui fait semblant de travailler, ou qui travaille réellement, comment savoir ? Je fais partie d’une de ces catégories. Je souris aux vieux. Ça leur fait plaisir et à moi aussi. Je vois l’inquiétude sur le visage des chômeurs. Les yeux sur leur téléphone, ils scrollent pour chercher un emploi.

Je mets scrupuleusement la moitié de mon mini pot de confiture de baies rouges sur la moitié de mon petit pain aux graines et aux flocons d'avoine. J’ai pris un double espresso dans une tasse à café, mais je ne l’ai pas dit à la caissière, sinon c’est plus cher. Je pense qu'elle s'en fiche en fait. Elle m’a gentiment souhaité la bonne année. Et ça fait du bien, je trouve.
J’ai eu mon anniversaire récemment. Certaines et certains me l’ont souhaité. D’autres ont oublié, ce qui m’attriste toujours un peu. Les gens sont toujours très occupés, ou autre chose, mais je ne sais pas quoi. Pour moi, c’est important toutes ces petites choses : répondre aux messages, rappeler, souhaiter bon anniversaire. Ce n’est apparemment pas toujours le cas pour les autres. Je ne comprends pas ça.
Ça me fait penser à mon fils, quand il avait 6 ou 7 ans, il se faisait parfois injurier à l’école et il ne comprenait juste pas. Pourquoi, maman ?
Mon fils me dit que je suis un spécimen. C’est possible. Un spécimen qui s’adapte. Au mieux. J'ai constaté il y a quelques années que mes enfants sont différents. Nous avons fait les tests psychologiques conseillés, puis j'ai lu un livre sur les "zèbres" — c'est comme ça qu'on nous appelle. Et j'ai compris pourquoi, toute ma vie, je me suis sentie décalée. J'ai toujours eu une meilleure copine à l'école, mais du mal à faire réellement partie intégrante d'un groupe. Maintenant, je suis en paix avec tout ça. Heureusement, mes amis sont comme moi. Mes enfants aussi. On se comprend, entre zèbres.
En ce moment, ma vie n’est pas comme je le souhaite. J’ai de l’expérience et des compétences, mais les entreprises ne semblent pas le voir, ni me voir. Pourquoi n'ai-je pas un job, comme tout le monde (sauf les chômeurs) ? C’est un souci permanent : chercher un travail, revoir son CV, écrire des lettres, aller se présenter à l'ORP, envoyer les papiers nécessaires. C'est un job, finalement, mais pas à temps plein. Bon, voilà, je fais avec. Et un des avantages, c’est que je peux boire un petit café au restaurant Coop à 9 h 30.
"Lorsque Rimbaud dit : « Je finis par trouver sacré le désordre de mon esprit », il montre qu'il a compris qu'il y a dans le désordre quelque chose sans lequel la vie ne serait que platitude mécanique." - Edgar Morin (qui était mon prof à l’uni)