Après les romans-fleuve, les séries-fleuve, voici le blog-fleuve. Le nombre de posts n'est pas encore défini.
Il n'est jamais trop tard pour avoir une enfance heureuse, m’a dit une amie un jour.
Alors, commençons, me suis-je dit. Première étape: se remémorer les beaux souvenirs, ceux qui nous font sourire quand on y pense.

Quand j’étais petite, mon Nonno allait chercher une grosse pastèque, qu’il attachait sur le porte-bagage de son vélo. Dans le garage, sous la maison qu’il avait construite, ma Nonna la mettait dans une grande bassine en métal, dans l’eau, pour la rafraîchir. J'avais pris des bains dans cette bassine, pour me rafraîchir, l'été, au milieu du jardin.
Après de longues heures, le Nonno posait l'anguria sur la table et coupait de grandes tranches. Mes cousines, ma sœur et moi, on s’asseyait sur les marches d’escalier qui menaient à l’entrée principale de la maison et on crachait les pépins contre le portail en métal marron qui donnait sur la route. On faisait des concours: celle qui crachait le plus loin, celle qui faisait le plus de bruit contre le métal. On riait et ça faisait rire ma Nonna.
Mon Nonno parlait très peu. Parfois, nous allions nous asseoir tous les deux sur le banc qu'il avait construit à l’arrière de la maison, sous un arbre. Il faisait chaud l’été. Le banc était constitué d'une plaque de granit posé sur une structure en bois. Le granit restait frais à l'ombre de l'arbre. Nous étions bien les deux sur le banc sous l’arbre, sans parler. Il me regardait et me souriait.
Derrière le banc, il y avait des poules dans un poulailler avec une haute barrière en fil de fer et des lapins dans des clapiers. La barrière était haute pour que les poules ne puissent pas s'enfuir en s'envolant. Nous mangions les lapins. Mon Nonno n'a jamais voulu que je sois présente quand il en tuait un. Nous mangions aussi les œufs.
Mon Nonno les gobait en cachette de ma Nonna, dans la salle de bain. Il faisait un petit trou dans la coquille, sous l’œuf et un trou plus gros à l’opposé et il penchait sa tête en arrière pour avaler l’œuf en faisant un grand bruit d’aspiration. Ça me fascinait. Il souriait et me faisait "chut" avec son doigt.
Ma Nonna battait le jaune d’œuf avec une cuillère dans une tasse avec du sucre, jusqu’à ce qu’il devienne blanc, onctueux, crémeux. Nous le mangions avec des grissini. Mon oncle versait ensuite son café dans la tasse. Ou plutôt: ma Nonna versait du café dans la tasse de mon oncle. Elle était à notre service. C’était comme ça que ça fonctionnait quand nous étions chez elle. En échange, nous lui rendions des services. Mon oncle réglait des problèmes administratifs, l’emmenait à la banque et au cimetière. Moi, j’allais faire des courses à la Coop, à vélo, en passant derrière la maison, parce qu’elle avait peur que j’aille sur la route.
Mon oncle m’emmenait en Italie en Porsche. Sans siège pour enfant, sans ceinture. Nous écoutions des cassettes de Marie Laforêt et Boney M. Nous ne nous arrêtions que pour faire pipi ou manger les sandwiches que ma mère avait préparés.
Après quelques jours, il rentrait en Suisse. Et moi, je restais chez mes Nonni. J’étais bien, j’étais libre, aimée, cajolée.